Pourquoi l’Ordre du Lys et de l’Aigle se réclame de la Tradition Orphique et Pythagoricienne ?
CHAPITRE PREMIER
Qui es-tu vraiment, Orphée?
Orphée aux mille visages !
Connu comme le premier et le plus illustre des poètes de l’Antiquité, tu es aussi un musicien aux pouvoirs magiques dont les mélodies ont fait ta renommée exceptionnelle. « Orphée au nom fameux » s’écriera d’ailleurs Ibycos[1] ! Mais tu représentes bien plus que cela, toi, Orphée aux mille vertus et aux mille pouvoirs ; tour à tour poète, musicien, théologos[2], mystagogue[3], thaumaturge[4], fondateur de religion… ton nom se pare du merveilleux et ta figure surgit de la nuit des temps, entourée d’un halo de mystère ; mystères que tu réserveras à tes initiés et qui formeront le socle de ta religion. Et c’est peut-être cela, d’abord, qui te relie à l’Ordre du Lys et de l’Aigle, dont la fondatrice Marie Routchine « DEA » disait : « Dans l’Ordre, il n’y a pas de secrets, il n’y a que des mystères. » Toi, le premier dans cette partie de la Méditerranée Orientale, tu as tracé la voie initiatique qui a parlé au cœur des hommes, les sortant de la sauvagerie, des fausses croyances et des superstitions, pour leur délivrer un message d’espoir et révéler la part de divinité qui existe en chaque individu.
Orphée, héraut de la paix !
A jamais tu as frappé les esprits, car de tous les héros antiques Grecs, tu es le seul qui n’aies pas usé de la force brutale comme le firent tous les autres : Ulysse, Achille, Ajax, Hercule, Thésée, Hector… Toi, paré de ta lyre, tu as montré aux hommes le chemin qui adoucit les mœurs et qui mène à la vraie victoire, celle de l’Amour sur la bestialité, celle de la Sagesse sur l’ignorance. Embarqué avec tous les illustres Argonautes à la recherche de la Toison d’Or, toi seul eus le rôle de médiateur au cours de cette expédition, calmant les querelles entre les navigateurs, leur donnant du courage par le rythme de ta musique, domptant les sirènes qui venaient vous piéger, et finalement initiant les Argonautes aux mystères de ta cosmogonie. Dans une Grèce archaïque et légendaire où le courage mais aussi la violence faisaient les héros, tu as ouvert une brèche. Tu as imaginé pour les hommes une voie nouvelle en leur révélant les mystères les plus hauts : ceux de la naissance des mondes, de la puissance de l’Amour et de la quête d’immortalité.
Orphée, prince de l’harmonie !
Poète au sens premier du terme, c’est-à-dire étymologiquement celui qui « fait, façonne, fabrique, crée », tu étais maître du rayonnement et de la fascination : par les vibrations et les harmonies de ta musique, tu avais pouvoir sur les autres énergies de ce monde, pouvoir sur les pierres, sur les plantes, sur les animaux, sur les hommes, et même sur les gardiens des Enfers. Tous, sous l’influence des vibrations de ta lyre et de tes chants, sous l’inspiration de ton charme, se rangeaient à tes côtés, c’est-à-dire du côté de la paix et de la concorde. La douce harmonie de ta musique et la puissance de ton Verbe subjuguaient toute la nature, dominaient les bêtes les plus féroces, les adversaires les plus terribles ; et tous ceux qui t’approchaient avec des intentions belliqueuses s’en retournaient charmés.
Orphée, révélateur de l’Astrosophie !
Si ton continuateur Pythagore a expliqué le Monde par le Nombre, tu en as donné une clef de lecture par la Vibration : cette vibration qui prolonge dans l’univers créé le rayon essentiel et primordial de l’Unité, qui révèle l’harmonie dans la multiplicité ; qui maintient la vie, le mouvement et l’équilibre des parties dans le Tout ; qui permet enfin de comprendre la raison secrète des causes et la raison secrète des effets. De cette connaissance des vibrations, tu en as fait une science, dite astrosophique, que tu as transmise aux hommes pour les éclairer. Elle est parvenue jusqu’à nous et résonne fortement dans l’âme de tou(te)s les initié(e)s de l’Ordre du Lys et de l’Aigle. Elle est d’une importance capitale et c’est pourquoi Démétrius Platon Sémélas « DEON », co-fondateur de l’Ordre, explique, dès le premier article du premier numéro de la revue spiritualiste « Eon », le 1er décembre 1920 : « … Pendant que l’astronomie Chaldéo-Égyptienne subissait le sort fatal que nous venons d’exposer, des individus pieux, parsemés le long des côtes de la Méditerranée Orientale, conservaient une science nommée « ASTROSOPHIE » et lui donnaient comme berceau l’école de Pythagore. Deux êtres humains que nous appelons « DEON » et « DEA » reçurent de la bouche d’un de ces Initiés les éléments de l’Astrosophie, que lui-même appelait « Orphique » avec mandat de la transmettre aux frères de l’Occident. » D’autres enseignements traditionnels conservés depuis bien des siècles par des Initiés des Écoles d’Éphèse et d’Attique nous ont été transmis par la même voie et tissent un lien indéfectible entre la Tradition Orphique, puis Pythagoricienne, et l’Ordre du Lys et de l’Aigle. Ici n’est pas le lieu d’en dévoiler le contenu. Nous nous contenterons donc d’identifier les points généraux de convergence, ce qui nous éclairera déjà beaucoup.
Orphée, révélateur de la vraie nature dionysiaque !
Tu as vécu en Thrace, au moment où les cultes solaires et les cultes lunaires se disputaient la suprématie.
Comme nous le dévoile Edouard Schuré[5] dans son livre Les Grands Initiés : « Ces deux cultes représentaient deux théologies, deux cosmogonies, deux religions et deux organisations sociales absolument opposées. Les cultes ouraniens et solaires avaient leurs temples sur les hauteurs et les montagnes ; des prêtres mâles ; des lois sévères. Les cultes lunaires régnaient dans les forêts ; dans les vallées profondes ; ils avaient des femmes pour prêtresses, des rites voluptueux, la pratique déréglée des arts occultes et le goût de l’excitation orgiastique ». Les Ménades[6], en particulier, cultivaient un rite dévoyé à Dionysos, fait d’exubérance et de délires. Ne louant en Dionysos que le Dieu de la vigne et du vin, celui de la fête éternelle, celui de la sève printanière qui toujours fait renaître la jeunesse, elles s’adonnaient, avec leurs fidèles, aux cultes les plus bestiaux. Toi, Orphée, tu as révélé la vraie nature de Dionysos, et à travers lui, tu as fondé une religion de tempérance et d’harmonie. Le dieu deux fois né devint le dieu des initiés et de l’initiation[7]. Le vin, comme dans toutes les grandes Traditions, devint le symbole de la Sagesse, et Dionysos en fut le sublime représentant. Par lui, tu décryptas la double nature de l’homme, à la fois corporelle et spirituelle, puis la voie du salut par le détachement de la matière. A l’opposé de toute impulsion bestiale, l’énergie débordante de Dionysos devint pour les adeptes, une inépuisable source d’enthousiasme (mot qui signifie étymologiquement : avoir dieu en soi), une force électrisée par la lumière de la connaissance. L’orphisme devint la religion de Dionysos et à travers elle, c’est toute l’âme de la Grèce qui en fut imprégnée.
Orphée, conciliateur des contraires !
L’étude des Lois de la Nature constitue la base et le fil rouge de tout l’Enseignement de l’Ordre du Lys et de l’Aigle. Cette connaissance donne à l’initié une nouvelle grille de lecture de l’Univers, une compréhension du sens de la Vie, et enfin les moyens d’agir toujours en faveur du Bien et de la Vérité. La première clé donnée à tout nouvel initié est la LOI DU BINAIRE, et sa résultante immédiate la LOI DE L’UNITE INTERMEDIAIRE. Sa compréhension, nous dit l’Ordre du Lys et de l’Aigle, et surtout son application concrète, équivaut à la perfection de l’initié ; une perfection certes relative, mais qui se traduit au quotidien par une vie d’Amour et d’harmonie. Car sur terre, où règnent les contingences matérielles et la loi du binaire, l’UNITE "parfaite" s’appelle HARMONIE, c’est-à-dire unité intermédiaire.
Cette Vérité profonde, c’est sans doute le lien le plus solide qui te relie à nous, Orphée, car toi, tu as compris cette loi, et tu l’as appliquée à un tel niveau de perfection que tout contraire trouvait en toi sa résolution ; et toute contradiction était dépassée et transmutée en vérité harmonieuse. Tout ton Enseignement s’appuie d’ailleurs sur la compréhension des lois de vie, et sur la recherche incessante de l’harmonie en soi et autour de soi, comme une quête inlassable vers l’Unité. Partout où régnaient les contradictions apparentes de la Grèce antique, tu as apporté des idées neuves :
· Entre les hommes et les dieux tu as aboli l’incompatibilité de principe qui séparait chez les Grecs le haut du bas, les immortels des mortels ; en expliquant leur lien de parenté et de similitude,
· Entre la mémoire et l’oubli, entre Mnémosyne et Léthé, tu as glissé la possibilité de l’immortalité et du salut des âmes,
· Au-dessus des divinités grecques, tu as conçu l’idée de l’Unité sous la forme de l’œuf orphique[8], anticipant ainsi dans ta cosmogonie l’avènement du monothéisme,
· Entre le commencement et la fin, et contre la progression linéaire du temps, tu as introduit l’idée de cycle, cet éternel retour à l’Unité.
De l’influence d’Orphée et de l’Orphisme
Des fragments, des bribes, des miettes même ! Voilà tout le matériel, à la fois si pauvre et si précieux, dont dispose le chercheur qui s’intéresse à Orphée ; des éléments épars, pièces éclatées d’un gigantesque puzzle, qui ne permettent pas de pénétrer tous les détails de l’Orphisme, mais d’en dégager toutefois l’esprit général. A travers les Discours sacrés, les Hymnes Orphiques, mais aussi à travers les prières exhumées de tombeaux et les témoignages de seconde main de poètes, philosophes, néoplatoniciens…, c’est un ensemble documentaire concordant qui s’étale sur plus d’un millénaire, du VIIe siècle avant notre ère jusqu’au IIIe siècle ap. J.-C. Mille ans au moins durant lesquels la pensée orphique s’est transmise le plus souvent oralement et s’est incarnée dans des communautés établies en Italie du Sud, à Athènes ou encore à Pergame (Asie Mineure), communautés vivant souvent en opposition avec la religion officielle et les mœurs de l’époque. D’un côté, on trouve la mythologie traditionnelle d’Hésiode et d’Homère, qui forme la base des croyances, des rites et de la culture populaire grecque. Mais parallèlement, se développe l’Orphisme, beaucoup plus discret, qui apporte de nouvelles clés de compréhension.
Courant novateur, l’Orphisme a peu à peu influencé la pensée de la Grèce antique, s’infusant (pour ne parler que de deux exemples emblématiques) dans le Pythagorisme naissant, et plus tard chez Platon qui en était largement pénétré dans tout ce qui touche à son mysticisme, à sa théorie des Idées, à sa notion de l’âme, à sa compréhension de l’harmonie… Cette pensée grecque en construction, imprégnée quelques siècles plus tard des idées nouvelles du christianisme, va fonder la base de notre civilisation occidentale. Et l’Orphisme en constitue un élément essentiel, comme l’explique W.K.C Guthrie[9] dans Orphée et la religion grecque – Étude sur la pensée Orphique : « Il n’est pas douteux que l’esprit très particulier qui est caractéristique de la littérature grecque, de la philosophie grecque et surtout de la religion grecque est, d’une façon ou d’une autre, dû à l’influence d’Orphée. A travers les Grecs, cet esprit pénétra les Romains et le christianisme même en fut affecté. »
A suivre...
Olivier Du Roi - Mai 2021
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[1] Ybycos (Ἴβυκος en grec ancien) est un poète lyrique grec né à Rhégion, ville du détroit de Messine, au VIe siècle avant J.-C.
[2] Théologos : celui dont les chants ont trait aux choses divines, aux dieux et à l’univers.
[3] Mystagogue : prêtre, personne qui initie aux mystères sacrés, à un savoir ésotérique.
[4] Thaumaturge : faiseur de miracles.
[5] Philippe Frédéric « Edouard » Schuré (1841-1929), est un écrivain, philosophe et musicologue français, auteur de romans, de pièces de théâtre, d’écrits historiques, poétiques et philosophiques. Il est surtout mondialement connu pour son ouvrage Les Grands Initiés.
[6) Les Ménades, en grec ancien Μαινάδες, de μαίνομαι « délirer, être furieux » sont les adoratrices de Dionysos. Elles sont les équivalentes des Bacchantes romaines, adoratrices de Bacchus.
[7] Dionysos est le fils de Zeus et d’une mortelle du nom de Sémélé. Alors qu’elle était enceinte et qu’elle insistait pour que Zeus se présente à elle sous sa vraie nature, celui-ci finit par céder à sa demande. Elle ne put supporter sa vision éblouissante et en mourut. Zeus voulant sauver le bébé non encore à terme, s’en saisit et le plaça dans sa cuisse jusqu’à sa « deuxième naissance ». Sa double naissance en fit le dieu des initiés, eux qui « meurent » au vieil homme en rentrant en initiation pour laisser place, dans une seconde naissance symbolique, au nouvel homme régénéré par la lumière de l’initiation.
[8] L’œuf orphique : dans la Théogonie Orphique, au commencement, Chronos forme au sein de l’Ether un Œuf parfait, symbole de l’Unité absolue, principe primordial et divin duquel Tout va être généré. De cet Œuf qui se fissure, va bientôt sortir Phanès (autre nom de Dionysos qui apparaît plusieurs fois et de manière cyclique dans le récit, à des stades différents de la Cosmogonie), le premier Être, le Dieu primordial de l’Orphisme. Cette idée que le multiple provient de l’Un, de l’Œuf, est très singulière et contraste avec le polythéisme grec et la Théogonie d’Hésiode.
[9] William Keith Chambers Guthrie (1er août 1906 – 17 mai 1981), était un érudit classique écossais, surtout connu pour son histoire de la philosophie grecque. Il a été professeur de philosophie ancienne à l’Université de Cambridge.
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